La monnaie complémentaire,  un moyen de mobiliser concrètement les citoyens au-delà de l’indispensable information et de toucher différents publics tels que le monde associatif, les élus, les acteurs économiques…

 

Regard critique visant à renforcer le sens de l’intérêt général trop souvent négligé au profit de minorités

 

La monnaie complémentaire : une des réponses au défi contemporain

 

·         Aujourd’hui, malgré le fait que nous ayons frôlé la catastrophe financière en 2008 et dont nous payons encore aujourd’hui et pour longtemps les conséquences et plus particulièrement les plus démunis, environ 95% de la masse monétaire mondiale est captée par les marchés financiers spéculatifs tandis que moins de 5% sert au fonctionnement de l’économie réelle permettant l’échange de biens et de services. Il est malheureusement clair que les mesures qui ont été prises après 2008 ne sont pas à la hauteur des enjeux, laissant toujours les mains libres au monde financier et le dédouanant de ses responsabilités.

Dans ce contexte, un des rôles essentiels des monnaies complémentaires est justement de limiter cette captation par les marchés spéculatifs (le contraire de la logique « Monopoly »). Il s’agit alors d’orienter la monnaie pour répondre aux besoins des citoyens en affectant à la monnaie une fonction de soutien à l’économie locale.

 

·         Le total des actifs de la banque BNP Fortis Paribas dépasse le PIB d’un pays comme la France. De ce fait, on conçoit aisément que l’autorité politique, garante du bien  commun soit soumise à des pressions qui cherchent à faire passer l’intérêt des grosses banques et de ses principaux actionnaires avant ceux de l’ensemble de la population. Les monnaies complémentaires sont alors perçues comme un gadget, comme  peuvent l’être les initiatives telles que NewB ou le Credal qui veulent donner une éthique à l’usage de l’argent. Mais cela n’est pas dû à ces alternatives, cela est dû au laisser-faire qui renforce les plus avantagés, qui élimine la diversité et crée, à l’image de l’agriculture dominante, une monoculture de la finance et de la monnaie, au service des plus nantis.

 

·         Face à ce laminage, il existe plus de 5000 monnaies locales à travers le monde. A titre d’exemple le wir existe depuis les années 30, impliquant 60.000 petites et moyennes entreprises en Suisse. L’Eusko autour de Bayonne rassemble 2700 utilisateurs, 20 bureaux de change, des centaines de partenaires, 87% des utilisateurs découvrent un nouveau commerce ou service via l’eusko, 35 % des partenaires économiques ont changé de fournisseurs pour en trouver un localement. Le Chiemgauer en Bavière est fort de 3000 utilisateurs, 600 entreprises et commerces, 230 associations, 550.000 Chiemgauer (idem en €uro) sont en circulation générant 6 millions d’euros d’échange en économie réelle, 3 fois plus vite que l’euro…

Comme l’ont montré de nombreux économistes et comme l’histoire l’a malheureusement prouvé, la monnaie repose sur la confiance que chacun lui accorde. Si cette confiance disparait, les chiffres qui s’alignent sur un compte en banque ou un billet ne signifient plus rien. Cela nous permet d’affirmer qu’il est possible d’avoir confiance en un autre moyen d’échange, c’est ce que les promoteurs du wir ont fait en Suisse en 1930 ; c’est ce qui aujourd’hui nous autorise cette liberté créatrice :

  • concevoir un moyen d’échange dans lequel nous pouvons faire « confiance »
  • concevoir un moyen d’échange qui correspond à des valeurs que nous voulons défendre et rendre visible ici à Bruxelles : protéger la planète, renforcer les solidarités, favoriser les circuits courts, relocaliser l’économie…, objectifs d’une politique qui répond aux défis auxquels nous sommes confrontés.

Les paradis fiscaux, enfer pour les autres, sont les trous noirs de la finance ;  l’opacité du système financier international permet le blanchiment d’argent de la drogue ou du trafic d’armes. Nous partageons avec des organismes comme Finance Watch et Financité la volonté d’une transparence pour une finance au service des peuples et les monnaies complémentaires y contribuent parce qu’un contrôle social les rend au service de tous et que leur mode de gouvernance, loin d’être ploutocrate, est démocratique.

 

Si l’argent fait tourner le monde (et pas toujours dans le bon sens), en comprendre les mécanismes est ardu et vouloir les maîtriser est extrêmement difficile. On comprend facilement que cela n’enthousiasme pas la population, est-ce suffisant pour baisser les bras, alors que depuis 2008, la crise financière a provoqué une crise sociale sans précédent et bloque toute avancée dans la gestion des urgences écologiques ; on ne le voit que trop, rapports du GIEC après rapports du GIEC. Nous n’avons pas la prétention que les monnaies complémentaires  soient la solution miracle, mais elles contribuent à construire une finance au service de l’économie, une économie au service de la société et du bien commun, donc pleinement respectueuse de l’environnement et des ressources de la planète. Elles y contribuent modestement, comme expérimentation

  • avec toute la difficulté de créer un circuit économique dans une économie, parcellisée, taylorisée, mondialisée, où beaucoup ne savent même plus ce qu’ils produisent, à quoi et à qui cela peut servir,
  • avec toute la difficulté d’en faire un outil construit et contrôlé démocratiquement par toutes celles et ceux qui sont concerné-es par son utilisation

 

Pour répondre à ce défi, Jean Michel Servet, économiste suisse insiste sur la nécessaire articulation entre le crédit et la monnaie complémentaire pour localiser l’économie selon le principe de la subsidiarité (choisir l’échelle la plus pertinente en fonction de critères sociaux et écologiques, faire tout ce qui peut être fait là où sont les compétences, les savoirs faire…).

Il précise aussi quelques conditions de réussite :

  • L’articulation entre citoyens et institutions
  • La complémentarité : prélèvement/redistribution (rôle du politique) + le marché (sphère économique privée) + réciprocité/solidarité (rôle des citoyens)
  • Le couplage monnaie complémentaire/micro-crédits
  • L’acceptation dans la fiscalité de la monnaie complémentaire

 

Une fois ce cadre exposé, qu’en est-il de l’eco iris ?

Le territoire de la Région bruxelloise est-il pertinent ? Oui, si les autres politiques économiques vont dans le même sens, à savoir maintenir un tissu d’activités diversifiées, source de mixité de fonctionnement et de complémentarité entre acteurs qui s’inscrit dans les trois piliers du développement durable. Et l’on peut rêver :  l’eco iris pourrait s’étendre un peu au-delà des frontières régionales pour associer une ceinture verte comme tente de l’expérimenter Alimen-Terre à Liège.

 

L’eco iris permet-il d’orienter la consommation et la production dans le respect de critères sociaux et environnementaux ? Si la consommation responsable est bien inscrite dans son objet et dans ses modalités, il reste, comme vous le remarquez, à en amplifier le mouvement bien au-delà des quelques 30.000 euros de monnaie locale prévue comme incitant en 2014. Quant à l’évolution de l’offre, c’est un défi qu’il nous faut relever et déjà engagé comme le prouvent Lampiris dans le domaine de l’énergie, Carodec dans le bâtiment ou l’Atelier des Tanneurs dans l’alimentaire. Le rôle des Compagnons de la Transition est ici d’accompagner les acteurs économiques locaux pour analyser ensemble les possibilités d’inclure pas à pas les critères environnementaux et éthiques dans leur offre commerciale.

 

Comment faire évoluer la gouvernance de l’eco iris ? Celle-ci est aujourd’hui en pleine mutation. Partie de la Région, elle s’ancre petit à petit à l’échelle des communes, avec un comité de pilotage où se retrouvent des associations, l’administration communale, les élus… Pour aller plus loin, nous cherchons à y associer des représentants du secteur économique, un collège des usagers de la monnaie, un conseil d’universitaires… L’asbl Financité contribue à cette réflexion, en s’appuyant sur sa propre expertise.

 

Quel peut être le poids économique de l’eco iris ? L’eco iris ne concurrence pas l’euro, mais complète sa fonction dans le cadre cohérent d’un dynamisme économique et social lié à un territoire. A la manière du chiemgauer, il peut engendrer de la création d’emplois et l’amélioration du bien-être de chacun à travers l’accès à des produits sains. Dans un contexte de mesures d’austérité toujours plus oppressantes, cela demande d’atteindre un certain seuil et de faire largement connaître la formule « achat » permettant d’échanger ses euros contre des eco iris. En effet cette formule, à la base de la plupart des monnaies citoyennes, amène à dédoubler l’argent en circulation : d’un coté la monnaie nouvelle et de l’autre les euros en garantie qui vont pouvoir favoriser des investissements utiles.

 

Comment créer une circulation de la monnaie ? C’est bien notre souci premier dans la mise en œuvre de la monnaie comme celui des commerçants, et il n’y aura d’adhésion à l’eco iris que si cette circulation fonctionne. Et ce souci est partagé par la Commune. Comme éléments de réponse, outre la recherche de partenaires économiques existants, la monnaie locale incite aussi au changement de fournisseurs pour en trouver de plus proches comme le montre l’eusko. Mais ceci ne suffit pas, il est aussi utile de recréer les secteurs d’activités qui sont allés s’exiler à l’autre bout de la planète, ceci pour répondre à la nécessité de créer localement de l’emploi et réduire notre empreinte écologique. Et c’est là qu’intervient le montage financier construit sur le dépôt de garanties déposé chez Triodos et en partie au Crédal, de manière à proposer un crédit répondant à ce besoin de relocalisation  de l’économie. Cela ne se fera pas en un jour. C’est une amorce, une orientation, une impulsion à renforcer par d’autres moyens.

 

Comment répondre aux difficultés concrètes vécues dans une commune ? Les modalités de fonctionnement de l’eco iris rendent pertinente la monnaie pour améliorer la gestion des déchets, la mobilité partagée, pour favoriser la biodiversité et l’alimentation responsable… ce sont des petits gestes qui, mis bout à bout, peuvent contribuer à un changement significatif. Ces modalités d’attribution des éco iris sont une réponse au constat suivant : la monnaie actuelle, l’euro, ne permet de rémunérer, à peu de choses près, que la richesse mesurée par le PIB, et non celle qui, tout en étant fort utile, ne produit pas directement de valeur ajoutée intégrée au système économique. D’où la nécessité, pour rémunérer l'«intelligence collective» aujourd'hui dédaignée par les systèmes habituels de rémunération, de favoriser le passage vers de nouvelles monnaies.

Ce sera alors la manière de « remercier » la personne qui éteint les lumières le soir en partant et qui économise ainsi à la collectivité, à l'entreprise des factures d'électricité, de satisfaire le besoin de reconnaissance des bénévoles qui travaillent pour une association[1]… Là aussi c’est à multiplier et accompagner d’autres initiatives telles que le droit au logement, l’amélioration énergétique des bâtiments, etc…

 

Restent enfin bien sûr toutes les questions pratiques, et non des moindres : monnaies papiers, monnaies électroniques ? Rôle dans la fiscalité locale ? Modalités de gestion de caisse ?...

 

Voilà un bref aperçu des enjeux et nous savons que l’eco iris ne peut être qu’un des outils pour y répondre, outil expérimental dont on comprend bien qu’il invite à de nombreuses insatisfactions. Comme d’autres nous aurions aimé trouver la panacée à ces défis, elle n’existe malheureusement pas !

 

 

 

Pour compléter la réflexion sur le sujet :

La publication de Financité : « Guide pratique des monnaies complémentaires »

La présentation du sol violette : https://www.youtube.com/watch?v=rUF-LoKORzI

Une courte video en Rhone Alpes : http://www.dailymotion.com/video/xuoj0v_les-monnaies-complementaires_news?start=184



[1] extrait de http://www.slate.fr/story/48471/argent-creer-nouvelles-monnaies

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